Quand la sculpture s'écrit à plusieurs mains.
Ce n'est pas tous les jours que l’on foule le seuil d’un atelier.
Surtout celui d’un artiste !
Samedi 1er mars, au sein de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa, cette opportunité s’est présentée à l’occasion d’un open studio, où l’étudiant sculpteur Nela Esthim Constant, aussi appelé Nec Jr. Salai, a ouvert son espace de travail au public. Non pas pour exposer des œuvres finies, mais pour livrer au public une suite de balbutiements : argile encore tiède… surtout échangés sur une création en cours, fragile et mouvant.
L’idée était simple, presque essentielle : inviter les visiteurs à devenir des partenaires critiques du processus de création. Cette porte ouverte se voulait avant tout un espace de trialogue entre l’artiste-sculpteur Nela Esthim, le public et les œuvres en création. L'artiste dépasse le stade de simple présentation des œuvres sculpturales pour un exercice de co-pensée, où la parole du public participe à la construction de l’œuvre elle-même.
Sans scénographie sophistiquée, l’atelier, vaste et lumineux, porte bien les empreintes de l’acte créateur : poussières de pierre ou d’argile au sol, volumes inachevés figés dans son élan, posés à même l’établi ou suspendus entre deux gestes. Malgré le salongo héroïque des étudiants pour dissimuler les traces de leur labeur et rendre le lieu accueillant – comme si on pouvait cacher une tempête sous un tapis – rien n’est vraiment dissimulé. Au contraire, c’est un atelier qui crie l’effort, un espace qui ne s’évertue pas à masquer la recherche, ni même l’assiduité.
En entrant, les visiteurs ne sont pas face à une exposition, mais sont au cœur même d’un processus. À travers cet open studio, l’artiste-sculpteur Nec Jr. Salai a dévoilé la série : " BAYIBI NGA BO MWANA ", une plongée poignante dans la réalité tragique des enfants délaissés en République Démocratique du Congo, en particulier dans les zones de l’est du pays touchées par les conflits armés. Cette série artistique sert de témoignage sur les conséquences de la guerre, de l’exploitation minière des enfants, les conflits ethniques… sur la jeunesse congolaise. Le travail de Nela Esthim se caractérise par un regard intérieur et engagé.
À travers des sculptures introspectives, il capture la double tragédie de ces jeunes : privés de leur enfance (dépossédés des joies simples et des expériences qui définissent normalement l’enfance – jouer, apprendre, rêver ou grandir dans un environnement sécurisé) et de leur avenir (la capacité à agir sur leur propre destin étouffée par la violence et l’indifférence).
Ses sculptures abordent des thématiques telles que la résilience, la solidarité et les défis sociaux auxquels fait face la société congolaise. En utilisant des matériaux variés, notamment la résine, le plâtre et des éléments recyclés, il crée des œuvres qui interrogent, éprouvent et provoquent la réflexion.
Enfin, les portes de l’atelier sont fermées dans une ambiance conviviale. C'est moins un événement qui s’achève qu’une trace de pensée partagée qui demeure. Cet open studio, dans sa simplicité et son humilité, rappelle combien l’œuvre, surtout dans un contexte académique, ne se réduit ni à un objet fini, ni à une démonstration technique. Elle est avant tout une mise en question spatiale et matérielle, qui ne prend sens que dans l’écho d’un regard posé et d’une parole partagée. Sans prendre que dans ce cadre académique, où la transmission occupe une place centrale, ce dialogue entre l’artiste, les étudiants, les enseignants et le public extérieur redéfinit l’approche de la critique. Celle-ci ne se cantonne plus à un retour postérieur à l’œuvre achevée : elle s’immisce dès les prémices de la création, intervenant activement pendant le processus d’élaboration, alors même que l’idée est encore à l’état embryonnaire.
Cette interaction continue – où la critique devient un outil de co-construction plutôt qu’un jugement final – souligne l’importance d’une réflexion partagée, intégrée à chaque étape du geste créateur.
Si l’ensemble des départements de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa poursuit cette dynamique d’ouverture critique, elle pourrait bien faire de ces open studios non pas de simples parenthèses pédagogiques, mais de véritables laboratoires critiques où se réinvente, entre artiste et public, une certaine idée de la création contemporaine.
WA MULENDA
Critique d’art
Quelques images de l'Open studio du 1er Mars 2025.
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Nela Esthim, |
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