Amadou Bagayoko et Mariam Doumbia : deux têtes, un cœur et une seule âme

Leur histoire possède une dimension à la fois romanesque et exemplaire.

Je vous parle d’Amadou Bagayoko et Mariam Doumbia, ce couple Malien qui a manifestement conquis l’Afrique, mais surtout le monde grâce à ce dont il disposait : le talent. Au-delà du fait qu’ils soient aveugles. Impossible de parler de l'un sans mentionner l'autre.

Amadou Bagayoko est né le 24 octobre 1954 à Bamako. Atteint très jeune d’une cataracte congénitale, il perd totalement la vue à l’adolescence. Dès l’enfance, il joue de la flûte pour divertir les pêcheurs avant de céder à son amour du rock et du blues, troquant la flûte contre une guitare en 1967. Formé par le guitariste guinéen Kanté Manfila, il devient un musicien très actif dans les années 1970, interprétant notamment des chansons cubaines. En 1974, il rejoint Les Ambassadeurs du Motel de Bamako aux côtés du chanteur Salif Keïta, l’un des orchestres les plus novateurs de la ville. 

Mariam Doumbia, aveugle depuis sa tendre enfance, serait née le 15 avril 1958 à Bamako, aveugle depuis l’âge de cinq ans à la suite d’une rougeole mal soignée. Elle intègre l’Institut pour Jeunes Aveugles de Bamako, où elle apprend le braille, enseigne la danse et la musique, et chante pour les mariages et festivals locaux. Membre de l’Eclipse Orchestra, elle puise dans les chants traditionnels maliens tout en s’inspirant de chanteuses françaises populaires comme Sheila ou Nana Mouskouri. 

Rencontre du duo

En 1975, ils ne l’ont pas vu venir, mais leurs chemins se croisent à l’Institut pour Jeunes Aveugles : Amadou, désireux d’affiner sa technique, est immédiatement séduit par la voix de Mariam. Il l’aide à arranger ses premières compositions ; de cette complicité artistique naquit une histoire d’amour — dont la mort nous arrachera un peu plus tard l’un des deux complices pour un éternel voyage. 

En 1980, ils célèbrent à la fois leur union et leur premier concert. Fidèles à leur terre, ils écument les salles maliennes jusqu’à s’exiler en Côte d’Ivoire pour assouvir leur soif de meilleurs enregistrements. Repéré parmi l’essaim d’artistes qui peuplait l’industrie musicale malienne, le producteur Maikano donne un « go » à la carrière de ce couple en 1986, produisant quatre volumes de cassettes : c’est la pose de la première pierre de fondation de leur succès qui s’annonçait. 

Sur les pistes du monde 

Si la vida es una tómbola comme l’a chanté El Manu alors le duo malien a tiré le ticket gagnant ! Tandis que le couple cherchait à donner une nouvelle dimension à leur musique, le destin leur a souri d’une collaboration : Amadou & Mariam x Manu Chao, traduite par la sortie en 2004 d’un album « Dimanche à Bamako ».

Cet album a marqué un tournant majeur dans leur carrière. Cette collaboration leur a non seulement propulsés sur la scène mondiale, mais également renforcé leur engagement à mêler les genres musicaux pour toucher un vaste public. Portés par la voix douce de Mariam et la guitare flamboyante d’Amadou, des morceaux comme « Dimanche à Bamako » -titre éponyme devenu un hymne planétaire - et « Coulibaly » incarne la fusion réussie d’une tradition millénaire et d’une modernité planétaire, affirmant leur identité d’« Afro-blues » à la fois roots et cosmopolite. 

Influences 

Amadou & Mariam incarnent l’un des ponts les plus réussis entre musique malienne et scènes internationales. Leur parcours est jalonné de distinctions prestigieuses, telles que la Victoire de la Musique en 2005 pour Dimanche à Bamako, deux BBC Radio 3 Awards, ainsi que trois nominations aux Grammy Awards, notamment pour Welcome to Mali en 2010. Leur approche de coproduction multinationale et leur mélange de guitares électriques et de rythmes traditionnels ont non seulement renouvelé la world music, mais ont également inspiré une nouvelle génération d’artistes sahéliens et occidentaux, étendant l’influence de l’Afropop bien au-delà des circuits spécialisés.

Leur réussite a favorisé l’essor du « desert blues » et du « desert punk », dont Songhoy Blues se revendiquent héritiers directs, reprenant à leur compte la fusion de traditions sahéliennes et de rock électrique. L’approche guitare-voix d’Amadou, alliant sobriété mélodique et expressivité, a inspiré la nouvelle génération de solistes sahéliens, tels que Mdou Moctar, surnommé le « Hendrix du Sahara » pour ses solos virtuoses et poétiques. 

Héritage transgénérationnel 

La trajectoire d’Amadou et Mariam illustre combien la culture est une force, un trésor intemporel. Loin d’être un cul-de-sac ou une relique, elle demeure un moteur vivant. Les chants traditionnels de Mariam nourrissent les tubes, et la maîtrise instrumentale d’Amadou n’est pas un simple écho du passé, mais le socle vibrant d’une créativité sans cesse renouvelée.

Leur musique ayant affranchi les frontières, puise inlassablement dans les racines africaines pour s’ouvrir au monde. Elle démontre que la culture n’est jamais figée, elle est un perpetuel recommencement, elle s’adapte aux générations, époques, ainsi, elle se fait une clé qui ouvre les portes au dialogue ; un levier stratégique qui, lorsqu’il est cultivé, permet d’étendre son style, de toucher des publics variés et de faire rayonner des valeurs et coutumes africaines — non pas comme un luxe, mais comme une nécessité vitale. 

En transmettant cette richesse, Amadou et Mariam ont non seulement consolidé leur identité artistique, mais ils affirment aussi que, plus que jamais, s’approprier son héritage n’est pas un retour en arrière : c’est un tremplin vers l’universel.

Car c’est dans le creuset des traditions que germent les plus belles innovations, et qu’une voix, même née dans l’ombre, peut rallumer les lampions de nos cultures. Sans se voir des yeux, ils se sont connus et vues du cœur. Leur expérience de vie est la parfaite matérialisation de « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux » avait dit l’auteur du Petit Prince. Ils se sont vu par le cœur, ils se sont aimés pour le cœur et ils se sont exprimés au monde à travers la musique avec leur cœur. 

Le départ pour un éternel voyage d’Amadou, survenue ce lundi 7 avril 2025, a bouleversé le monde musical. Son départ laisse un vide immense, mais son empreinte reste indélébile : celle d’un artiste visionnaire, bâtisseur de ponts entre les cultures. En son honneur, des hommages ont fleuri — une place à son nom à Bamako, des bourses pour jeunes musiciens, et des concerts-hommages à travers le monde. Si l’homme s’est éteint, sa musique, elle, continue de nous relier, vibrant comme un fil invisible entre les peuples. 

                                                    Wa Mulenda
                                                    Critique d’Art

Commentaires

Articles les plus consultés