Lettre de Lumumba à la jeunesse Congolaise
À l’occasion du soixante-cinquième anniversaire de l'indépendance de la République Démocratique du Congo, le magazine d’arts Méta-texte est honoré d’avoir offert son numéro spécial à un texte d’une résonance interpellatrice et poétique majeure : « Lettre de Lumumba à la jeunesse congolaise ».
À travers cette lettre fictive, rédigée 65 ans après l’indépendance, la voix d’un Lumumba centenaire se fraie un chemin jusque dans nos veines. Pas pour célébrer. Mais pour secouer. Le ton est grave, les mots sont tranchants. Car malgré le sacrifice, le Congo semble tourner en rond, piétinant sa propre histoire. Cette lettre n’est pas un hommage : c’est un miroir tendu à une jeunesse qui vacille entre oubli et résignation.
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Crédit photo : Infographistes |
Lumumba dit:
Je vais bientôt avoir cent ans. Je n’ai plus toutes mes mains pour t’écrire. Mais je garde encore la ferveur et la sève de mes trente-cinq ans. Sans doute parce que le sang de ceux qui ont combattu à mes côtés — mon sang — coule dans les veines de chaque génération de Congolais. Je ne m’adresse pas à tous les jeunes, mais à toi, jeune Congolais.
Cela fait soixante-cinq ans aujourd’hui. J’ai remué ma vieille tête pour trouver des mots justes, capables de toucher ton cœur. Des mots plus forts que le silence. Ma tête est un peu lourde, mais une voix m’a dit de te rappeler ce que tu sais déjà, ce que tu as entendu de moi…
Cher jeune de mon pays,
« Personne ne peut suffire à lui tout seul pour construire le Congo. Les ennemis du pays nous guettent. Le monde entier nous observe. Nous devons sauver, sans aucun retard, l’honneur et la réputation de notre vaillant peuple. Nous n’avons pas réclamé notre indépendance pour nous disputer, nous entretuer, mais uniquement pour construire notre nation dans l’union, la discipline et le respect de chacun. » En nous entretuant, nous offrons aux ennemis l’arme qui leur permet de nous voler ce pays. On n’est pas Congolais seul. On l’est parce qu’il y a les autres. Si nous parlons d’indépendance, c’est parce que nous avons cru en notre maturité. Aide-moi à donner sens et valeur à la sueur et aux larmes qui ont coulé de mes pores, avant le grand passage vers l’antichambre.
Vois-tu, mon cher ?
« Les puissances européennes ne veulent avoir de sympathies que pour des dirigeants africains qui sont à leur remorque et qui trompent leur peuple. » Il n’y a pas plus misérable que celui qui ment. Il doit rester en alerte pour se souvenir sans cesse de ses mensonges, de peur d’être démasqué. Le jour où tu mens, ton peuple te désavoue — sauf tes lèches bottes. Ne vends pas ta dignité pour des miettes. Quand les carottes seront cuites, ils t’abandonneront, seul sur la route, entre la tiédeur et la froideur du sol.
Mais « nous savons très bien que l’on ne construit rien de durable dans la haine et la rancune.» Fais de ce pays un temple d’amour, d’hospitalité, de respect et de joie. Sans jamais te soustraire à ta souveraineté ni à tes devoirs envers la patrie. Écarte tout ce qui détruit, fais grandir ce qui édifie. Que la justice élève le Congo, « car, sans justice, il n’y a pas de dignité et, sans indépendance, il n’y a pas d’hommes libres. »
« Entre la liberté et l’esclavage, il n’y a pas de compromis. Nous avons préféré payer le prix de la liberté.» Ce prix est noble : c’est porter le Congo dans ton sac en bandoulière, dans tes rires, dans ta parole. Porte le Congo. Se perdre dans le Congo pour que lui seul puisse exister. Le Congo a un besoin urgent de paix. La paix ne se donne pas. On ne la quémande pas. Elle se construit quand on la veut. Et, au rythme du monde, cette construction n’est pas possible sans coopération, mais dans la loyauté et l’amitié.
Soixante-cinq ans ont passé depuis que notre combat a trouvé gain de cause. Depuis que « le peuple congolais a choisi l’indépendance immédiate et totale », il semble que le Congo soit plus esclave qu’avant.
Pourquoi, jeune, redonnes-tu à l’après-indépendance les couleurs de l’avant ?
Pourquoi habites-tu les futilités, au lieu de choisir l’essentiel ?
Pourquoi fixes-tu le doigt, au lieu de regarder la lune ?
« Montre au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté, et tu (nous) vas faire du Congo le centre du rayonnement de l’Afrique tout entière. »
Écoute-moi, mon jeune ami.
Quand tu me liras, souviens-toi de ceci : « Je vous demande à tous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l’étranger. »
Traite, au plus vite, ce cancer du tribalisme, du régionalisme, du culte de l’homme et du fanatisme. Habite le Congo avec le nationalisme et le patriotisme. Habite le Congo. C’est ainsi que plus rien ne pourra être pris du Congo sans ton consentement. Ne détourne pas. Ne vole pas. Sers le pays, et non toi-même.
« Unis dans un même esprit, dans un même élan, avec le même cœur, nous ferons bientôt de l’Afrique, de notre Afrique, un continent réellement libre et indépendant. »
Il n’y a pas de sentiment plus grand, hormis l’amour, que celui de l’unité. Pour un Congo uni et prospère, l’amour et l’unité doivent être des piliers. Ainsi, « le Congo (l’Afrique) écrira sa propre histoire, et elle sera, au Nord et au Sud du Sahara, une histoire de gloire et de dignité. »
J’ai cent ans aujourd’hui.
Le Congo n’en a que soixante-cinq, mais parfois, j’ai l’impression d’être plus jeune que lui.
Je t’en prie, compatriote, revêts ce pays de la parure de la gloire et de l’honneur.
Je ne suis pas si loin de toi. Je suis dans tes veines, dans tes pensées, quand tu penses « Congo », tu penses aussi à moi.
Ne célèbre pas Lumumba en ce jour d’indépendance. Célèbre le Congo.
Rédaction du Mouvement Citoyen Eclairé (MCE)
Lettre inspirée de « Dits et Ecrits » de Patrice Lumumba
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